Schéma quinaire
Si l'on part d'un conte merveilleux comme la Belle au bois dormant,
on pourrait proposer une analyse structurale, applicable à d'autres types de
récit, mutatis mutandis. Une série de motifs, de séquences essentielles
s'enchaînent ainsi :
1
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2
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3
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4
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5
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équilibre initial
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perturbation
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déséquilibre
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action réparatrice
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rétablissement de l'équilibre
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bonheur d'une princesse et de sa famille
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jalousie d'une fée
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maléfice sommeil de 100 ans
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arrivée du prince charmant
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levée du sortilège etc.
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Résumé pour
mémoire du conte, dans la version de Perrault :
Une jeune
princesse, fille unique, est condamnée par une méchante fée (vexée de n'avoir
pas été conviée au baptême de la Belle) à une mort accidentelle. Grâce à
l'intervention d'une bonne fée, au lieu de subir la mort prédite, elle s'endort
pour un sommeil de cent ans, au terme duquel un Prince l'éveille puis l'épouse
en secret.
La Belle donne naissance à une fille, l'Aurore, et à un garçon, le Jour, que sa
belle-mère, l'Ogresse, cherche à dévorer : une ruse de son maître d'hôtel l'en
empêche et l'Ogresse meurt, victime de l'horrible vengeance qu'elle avait
préparée.
L'analyse morphologique du récit de Paul Larivaille
Ce type
d'analyse, souvent appelé schéma narratif ou quinaire, a été utilisé
d'abord pour décrire la structure élémentaire des contes ; c'est un type de
schéma narratif, c'est-à-dire de construction du récit. Il a été décrit
notamment par Paul Larivaille dans L'Analyse morphologique du récit,
sous une forme un peu différente :
Avant les événements
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Pendant les événements
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Après les événements
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État initial
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Processus de transformation
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État terminal
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Provocation
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Action
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Sanction
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1
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2
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3
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4
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5
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Commentaires :
- situation
initiale : au début,
on met en place l’histoire (cadre, moment, lieu, personnages) et un état stable
pour les personnages est souvent posé ; quelquefois le récit peut correspondre
à une prise de conscience avec le constat liminaire d'un manque, d'une carence
à combler.
- perturbation
: un élément nouveau introduit une instabilité ; il déclenche le début d’un
processus de transformation. Il y a une complication.
- déséquilibre
: dynamique en rupture avec l’équilibre initial.
- tentative
de réparation (ou résolution du problème, actions réparatrices) : moyens
utilisés par les personnages pour essayer de résoudre le déséquilibre.
Plusieurs tentatives s'avèrent parfois nécessaires.
- situation
finale : le texte se clôt avec la construction d’un nouvel équilibre ou un
retour à l’équilibre initial…A la fin, on peut aussi obtenir un autre équilibre
mais l'issue d'un récit n’est pas toujours heureuse et optimisme ; parfois le
récit se clôt sur un échec du héros et non sur l'habituel "happy end",
cher au lecteur naïf. On peut évoquer ainsi L'éducation
sentimentale et Madame Bovary de
Flaubert, les Illusions perdues de Balzac, voire le petit « Chaperon
Rouge » de Perrault. La clôture est bien échec et sanction… Pour parler comme Denise Paulme, qui a travaillé sur «
la morphologie des contes africains », certains récits sont de type
descendant, car le texte finit plus mal qu’il ne commence. D'autres récits
sont de type ascendant, cyclique etc.
Structure du récit de Horst Isenberg appliquée à
un récit oral, non littéraire :
Note : dans
ce schéma, comprendre l'élément évaluation comme évaluation ou action.
Analyse de Labov et Waletzky
Cette
analyse est voisine de celle proposée par Labov en collaboration avec Waletzky
pour rendre compte de récits oraux (W. Labov et J. Waletzky,
"Narrative analysis : oral versions of personal experience", 1967).
Ils y définissent le récit comme une « méthode de récapitulation de
l'expérience passée consistant à faire correspondre à une séquence d'événements
(supposés) réels, une séquence parallèle de propositions verbales ».
Selon eux,
une histoire se compose de six parties structurales ou éléments constitutifs.
1. Le « résumé
», donne un aperçu du sujet de l’histoire et sert d'introduction ; il peut
résumer, annoncer l'histoire entière ou le résultat de l'histoire
2. L ’ « orientation
» fournit de l’information contextuelle sur les protagonistes, leur situation,
les lieux ou le temps des événements...
3. La « complication
» correspond à la description chronologique des événements jusqu’au moment
crucial de l’histoire ; une rupture se produit dans le déroulement attendu.
C'est ce qui rend souvent l'histoire intéressante ou mémorable.
4. La « résolution
» récapitule les événements finaux de l’histoire. La complication et la
résolution constituent ainsi le cœur même du récit, son nœud.
5. L’ «évaluation
», généralement incluse dans une des autres catégories, fonctionne en tant que
commentaire aux événements narrés ; elle fait le point et donne un sens. Quel
est l'intérêt de l'histoire racontée ? Que faut-il penser des personnages, de
leurs réactions ? etc.
6. La « coda
» signale, par une conclusion formalisée, la fin de l’histoire.
En fait,
deux fonctions distinctes du récit sont ainsi bien dégagées par Labov et
Waletzky :
- la
fonction évaluative : elle rappelle aux auditeurs l'attitude du narrateur face aux
événements qu'il rapporte ;
- la
fonction référentielle : celle-ci concerne la construction d'unités narratives,
dont le déroulement temporel correspond au déroulement des événements décrits.
Ainsi perçu,
un récit représente d'abord un acte de langage, car il fait la communication
d'un événement jugé digne d'être raconté, à l'adresse d'un destinataire
(auditoire ou lectorat), selon une rhétorique ou "écriture" propre à
un groupe humain et social ; il fait l'usage d'une langue singulière (langue
normée, dialecte, sociolecte...), d'une rhétorique narrative datée, localisée
et de valeurs socioculturelles de référence.
Superstructure narrative d'Adam

- Les travaux
d'Adam sur la superstructure narrative (Le texte narratif, 1985
etc.) permettent enfin de souligner les symétries d'un récit : symétrie entre
la situation initiale et la situation finale. A partir de la situation de
départ se crée un horizon d'attente, la promesse ou la possibilité d'un
équilibre, d'un univers rétabli. On peut même concevoir une forme de
"détermination rétrograde" allant de la situation finale, programmée
par le récit, remontant à la situation initiale.
- Par ailleurs, la complication,
issue de la situation initiale, et la résolution, qui amène la fin du récit,
ont aussi une relation symétrique. Un récit normal, c'est à dire qui fonctionne
bien, canoniquement, est un récit qui implique une transformation d'une
situation initiale en une situation finale qui se correspondent d'une
certaine manière. Greimas constatait déjà en 1966 dans la Sémantique
Structurale que la fin du récit amène en général une inversion des contenus
par rapport au début. Ainsi, on rencontre des récits ascendants du type : Pierre
est pauvre. —> Pierre est riche., Pierre est malheureux. —> Pierre est
heureux. ou descendants sur le modèle : Pierre est riche. —> Pierre est
pauvre.